Noir Desir - Comme Elle Viens

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Né à Pau le 5 mars 1964, Bertrand Cantat est un enfant rêveur puis un adolescent peu réceptif à l'autorité. La carrière de son père dans l'armée contraint sa famille à d'incessants déménagements. Son refuge, il le trouve dès ses 13 ans dans la musique et la littérature. L'oreille de Cantat est sensible au MC5 avant d'éprouver une fascination pour les Doors. Mallarmé, Rimbaud, Maïakovski parviennent malgré tout à le retenir sur les bancs de l'école. En 1980, Bertrand Cantat quitte le Havre pour se stabiliser à Bordeaux. En classe de seconde il se trouve un allié de choix en matière de rock ; Serge Teyssot-Gay. Très vite, l'idée de former un groupe germe. Eté 1981, ils rencontrent Denis Barthe qui déniche un local et s'installe derrière les fûts. Avec le frère de Serge, Thierry Teyssot-Gay, à la guitare rythmique et Hervé Porge à la basse, ils forment Psychoz. Après avoir écumé les bars de Bordeaux, les deux dernières recrues cèdent leur place au bassiste Vincent Leriche. Grâce à l'émergence des radios libres, le groupe s'imprègne de blues, de rock, de garage et de punk. C'est l'heure de la valse des noms : Psychoz, 6.35, Station Désir puis Noirs Désirs. Les membres ne sont pas en reste, après Teyssot Gay et Leriche, c'est Cantat qui quitte la formation, remplacé par Emmanuel Ory-Weil (futur manager). Ce ne sera qu'en 1985 que la formule Noirs Désirs sera trouvée, avec Bertrand Cantat aux textes et au chant, Serge Teyssot-Gay à la guitare, Denis Barthe à la batterie et Frédéric Vidalenc à la basse. Les premières compositions du groupe, qui se forge une identité de plus en plus forte, font l'objet d'une démo qui séduit Théo Hakola, chanteur de Passion Fodder. Il permet alors à Noirs Désirs de signer sur son propre label, Barclay. Face aux critiques du courant alternatif préférant l'auto production aux majors, Noirs Désirs assume et pose ses conditions. Il ne fera qu'une seule concession malgré les pressions : Barclay souhaite que le groupe change de nom. Les quatre membres ne lâcheront que deux lettres et Noirs Désirs devient Noir Désir. Eté 86, Théo Hakola produit leur premier mini-album Où veux-tu qu'je r'garde. Les ventes dépassent les attentes de Barclay qui les signe pour trois albums. A l'aube de leur deuxième opus, Noir Désir se singularise déjà par sa démarche artistique : la remise en question est inhérente à toute élaboration d'un nouvel album. Il ne s'agira pas de continuité mais de nouveauté. Avec Ian Broudie aux manettes, Noir Désir montre un visage plus posé et canalise son énergie. L'album est salué par la critique spécialisée au point de se voir décerner le Bus d'Acier en 1989, récompense attribuée par la presse au meilleur groupe de rock français, ce sera le premier disque d'or de la formation. Succès qui a néanmoins sa part d'ombre : des sessions Veuillez rendre l'âme (à qui elle appartient) est extrait leur premier tube : « Aux sombres héros de l'amer », résultant d'un malentendu (il ne s'agit pas d'une chanson de marin mais d'une métaphore de la vie), le groupe exclut le morceau de son répertoire scénique tandis que Barclay l'inclut dans une compilation de supermarché. Revenus de leur rageuse tournée européenne, les musiciens savent, une fois n'est pas coutume, de quoi sera fait le prochain album. Fort de son disque d'or, Noir Désir exige de Barclay une auto-production. Résultat : un album dur et agressif, anti-commercial, aucun single et une promotion quasi inexistante. Le pied de nez à Barclay ne s'arrête pas là. La tournée de Noir Désir se veut proche du public, ils imposent de passer dans des clubs et choisissent eux-mêmes leurs premières parties composées de petits groupes locaux. En mai 1991, quatre mois après le début d'une tournée épique, Bertrand Cantat est victime d'une syncope sur la scène de Besançon. Ses cordes vocales sont atteintes et les membres du groupe s'éloignent au point que la séparation est envisagée. Depuis cet événement, chaque fin de tournée passera par une pause peu ou prou dangereuse pour l'avenir du groupe. Pour l'heure, Bertrand Cantat s'exile en Amérique du Sud, Serge Teyssot-Gay à la montagne, et Frédéric Vidalenc au grand large. Seul Denis Barthe ne lâchera pas ses baguettes pour le plus grand bonheur des groupes Blind Folded et Edgar de l'Est. Mais la musique est au centre de la vie de chacun, et après quelques explications et changement de managers, Noir Désir se retrousse les manches et s'enferme dans une maison proche de Bordeaux pour composer. Impressionnés par les Fugazi, ils choisiront leur producteur : Ted Niceley. En deux mois, Noir Désir enregistre Tostaky dans la région londonienne, l'album est récompensé par un disque d'or quelques jours seulement après sa sortie. L'album s'ouvre avec « Here it comes slowly », en 1992 déjà, dix ans avant le scrutin du 21 avril, Bertrand Cantat tire la sonnette d'alarme : l'extrême droite arrive doucement mais sûrement. Si le combat contre la bête fasciste a toujours enflammé Noir Désir, elle commence à se concrétiser. Tostaky et son tube éponyme fait de Noir Désir un phénomène médiatique. Le groupe devient incontournable, un porte-parole des groupes de rock français, voire de la jeunesse. Malgré la précédente tournée éreintante, il persiste et signe : les clubs sont à l'honneur et les dates multipliées. Ils jurent de se satisfaire d'une cinquantaine de dates. Ils donneront cent vingt représentations sans ménagement aucun. Une tournée prétexte à un double album live sorti en 1994 et après laquelle Noir Désir, comme à son habitude, s'octroie une pause de huit mois. Elle ne sera rompue que pour la bonne cause, leur Unique concert de l'année 1994 permettra, avec l'association Choléra No, de financer un projet sanitaire au Pérou. Un pas de plus dans le développement de la conscience politique du groupe qui dénonce déjà la mondialisation avant même que le terme anti-mondialiste ne soit crée. Lors de la traditionnelle remise en question préalable à tout nouveau projet, Frédéric Vidalenc, usé, quitte la formation. Il sera remplacé par le technicien et ami du groupe, Jean-Paul Roy. De son coté, Bertrand Cantat rencontre un saxophoniste hongrois : Akosh Szelevényi. Akosh S., comme il est appelé, collaborera désormais régulièrement avec les Bordelais. Entre autres tubes du nouveau «Noir Dez», 666667 club, sorti en 1996, « Un jour en France » fait à nouveau référence au FN et à sa montée en puissance qui paraît inéluctable à l'heure de l'ouverture des frontières et du changement de monnaie. A Vitrolles, ville dirigée par le front, Noir Désir donnera un concert de soutien au Sous-Marin, salle de concert fermée par Bruno Mégret. Leur engagement est loin de se limiter à la lutte anti-fasciste. Ils soutiennent, entre autres, les Indiens du Chiapas et le sous-commandant Marcos, les sans-papiers, l'association Les Méharées pour la scolarisation des enfants africains, et la cause palestinienne. Un nouveau projet va par ailleurs secouer les membres du groupe et leur référent rock. Depuis une cassette reçu où un musicien yougoslave remixe un de leur titre, Noir Désir offre son répertoire aux artistes désireux de le revisiter. L'intégrité étant au centre de la démarche artistique du groupe, les cassettes attendues seront anonymes. Au final, un album complet de remix et une grosse claque pour Noir Désir qui entrevoit de nouveaux moyens d'expression musicale. Si les rumeurs de séparations sont une nouvelle fois à l'ordre du jour, les musiciens, après de multiples collaborations et un second album solo pour Teyssot-Gay, vont se retrouver à Marrakech. Sur la route de l'eclectisme, chacun multiplie sa palette d'instruments. Ils enregistrent, mixent dans dix studios différents et masterisent à Paris et à New York. Le 11 septembre 2001, Date des fameux attentats, sort Des visages des figures avec un titre accompagné par une photo prophétique. « Le grand incendie », écrit à New York après une ballade autour des tours jumelles, narre une catastrophe. Le photo-montage entoure la Statue de la Liberté de flammes... La cérémonie des victoires de la musique de 2002 prend des airs révolutionnaires. A l'origine, un discours du groupe lu par Cantat dans lequel ils épinglent leur grand patron Jean-Marie Messier, son omniprésence et sa façon d'utiliser les groupes sous contrat avec Universal. Et au lendemain du premier tour de l'élection présidentielle de 2002, Noir Désir est sur le front. Ils participent à un concert à Lyon le 30 avril pour crier «No Pasaran». Pour combler sa soif d'expérimentations, Noir Désir donne un concert un peu spécial. Le 21 juillet, au couvent des Ursulines de Montpellier, Noir Désir et son nouveau compagnon aux sons électro, Christophe Perruchi, jouent une composition plus ou moins improvisée sur un poème de Cantat. Soit 55 minutes de musique ininterrompue. Livret et disque sortiront en 2004. L'été 2003 sera moins heureux. Rien ne sert d'épiloguer. Cantat a été condamné à huit ans de prison. Pour le public de Noir Désir, il y a un avant et un après Vilnius. Le chanteur charismatique est lâché, détesté ou soutenu. Un nouveau double live sort fin 2005. Le groupe s'enferme dans un mutisme jusqu'à la libération de son chanteur après quatre années de détention. Ultime sursaut en 2008, Noir Désir livre deux titres sur son site internet dont une reprise du « Temps des cerises ». C'est à nouveau le silence radio jusqu'au retour inattendu de Bertrand Cantat, partageant la scène avec le groupe Eiffel lors de deux fins de concerts. A la grande surprise (ou pas), le départ de Serge Teyssot-Gay précipite la fin du groupe annoncée le 30 novembre 2010 par son batteur Denis Barthe. Le groupe qui a écrit l'une des plus grandes pages de l'histoire du rock français part sur la pointe des pieds.

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